L’industrie immobilière veut notre bien et… l’aura.

Un beau stade pour nous
Le stade de baseball, ça fait les manchettes. Voilà l’image toute trouvée pour écarter élégamment la contestation sur l’enjeu majeur que représente le potentiel de développement immobilier du Bassin Peel, un secteur dans la partie Est de Pointe-Saint-Charles. Contrairement au déménagement raté du casino au même endroit en 2006 qui portait une charge sociale importante : le jeu et ses répercussions négatives sur un milieu de vie, ce n’est pas le cas pour le baseball. Présenté par ses promoteurs et les médias, qui en beurre épais, comme ayant uniquement des retombées positives (spectacle, emplois, consommation, image internationale et j’en passe) pour Montréal, qui pourrait s’opposer à un nouveau stade baseball à Montréal? Et ce, même s’il y en a un dans l’Est de la ville qui nous coûte les yeux de la tête, (on y prévoit d’ailleurs 750 millions$ d’investissement sur les 10 prochaines années).

Les groupes communautaires de Pointe-Saint-Charles ont bien compris que le baseball n’était pas l’angle de résistance à adopter, la plupart de leurs membres, semble-t-il, ne sont pas prêts à se mobiliser là-dessus. Le consensus médiatique fabriqué autour du stade est presque total en cette ère de société de consommation/spectacle, une normalité quoi!

La seule controverse possible serait sans doute que du financement public direct soit octroyée à un stade privé. Ça fait un bout que Stephen Bronfman l’a bien compris. Voilà pourquoi, stratégiquement, ce sujet du financement public n’apparaît pas dans son discours. Sa société d’investissement Claridge a d’autres cartes dans son jeu. En fait, la recette est assez connue : du lobbying auprès des décideurs politiques, une stratégie marketing et l’appui massif des médias main Stream pour convaincre la société de céder à ses exigences et le tour est joué.

Bien sûr Stephen Bronfman aurait préféré partir seul avec la cagnotte face à son compétiteur direct Devimco, celui qui voulait faire de Griffintown, (il a pratiquement réussi), un 10/30 urbain. Mais sentant que le fruit est mûr auprès des politiques, mais surtout qu’il faut éviter les controverses publiques, son « alliance » avec Serge Goulet de Devimco représente un gage de « sérieux » auprès des éluEs et de l’opinion publique.

Le stade, un prétexte ?

Le déménagement d’une équipe de baseball à Montréal a bonne presse auprès des magnats du baseball majeur américain. Deux hics cependant, le marché de Montréal pourrait être considéré comme trop petit. Mais les droits de télévision pourraient compenser. L’autre hic c’est le coût d’une concession, au moins 1 milliard$ américain, et le fait que l’industrie du baseball exige un stade neuf, plusieurs centaines de millions$. Si la rentabilité privée n’est pas au rendez-vous, les fonds publics seront sans doute sollicités.

Mais ce n’est pas grave, si le projet de stade tombait à l’eau. La solution de rechange est toute trouvée. Les promoteurs auraient les terrains stratégiquement situés pour développer plusieurs milliers de logements dans la suite de Griffintown. On parle de 4 à 5 000 logements avec le stade. Imaginez sans le stade ? Cette idée est justement celle de la Caisse de dépôt et placement qui a besoin de l’immobilier pour rentabiliser son REM (réseau express métropolitain) qui passe justement là, quelle coïncidence! Clairvoyant, Stephen Bronfman a déjà promis une école dans le secteur pour couper l’herbe sous le pied des critiques.

La ville de qui ?

Vous l’aurez compris, le bassin Peel, ce n’est qu’une affaire de gros sous le contrôle à peu près total de 2 géants de l’industrie immobilière sur le développement de LEUR ville. Ce dossier est une occasion supplémentaire nous permettant d’affirmer que la reconfiguration des quartiers centraux, y compris celui de Pointe-Saint-Charles, est plus que jamais l’affaire des développeurs et non des citoyennes et citoyens de cette ville.

Leur philosophie est simple: il y a un marché solvable et ils ont un produit. On met en marché un type d’habitation en fonction de ce que les consommateurs (futurs acheteurs) sont en mesure de payer, on engage des firmes d’architectes rivalisant de gadgets tape-à-l’œil et des communicateurs spécialistes de la « novlangue ». Cette manière de dire par exemple que le verdissement c’est de l’écologie ou du développement durable ou autre connerie alors qu’on a affaire fondamentalement à une industrie du gaspillage et de l’obsolescence programmée. Les gros promoteurs effectuent divers sondages à cet effet. Pour être attrayant, ce produit, même de qualité médiocre, doit se trouver dans un environnement qui étale les hautes valeurs de la société du spectacle, de la consommation et du tourisme de masse, particulièrement au centre-ville. Vous en doutez ?

Le discours de nombre de promoteurs immobiliers est très clair à cet égard et s’affiche souvent de manière très visible (vidéos de promotion, affiches géantes, utilisation d’une novlangue ramassant les idées à la mode, etc.). Voici quelques exemples de promoteurs :

• Prevel
• De son côté Vincent Chiara du Groupe Mach, plus gros propriétaire immobilier privé au Québec : « Ce projet propulsera l’essor économique dans un Centre-Sud qui a soif de développement… Les concepteurs du projet tiennent à ce que le village urbain révolutionne (rien de moins) les tendances en urbanisme et en architecture…les quelque 400 000 pi2 de galeries souterraines devraient abriter des magasins à grande surface comme Rona, Canadian Tire, Wall Mark… ».

• Et encore Samcon qui a à son actif la construction de plus de 4 000 logements à Montréal. Sam Scalia, le proprio, affirme « avoir une mission de « redéveloppement urbain ». Cela signifie « revitaliser, transformer et améliorer le visage des différents quartiers de Montréal » … « en y amenant une nouvelle clientèle. » Il donne l’exemple de la promenade Ontario où, des cafés, des restaurants et d’autres endroits branchés ont remplacé des commerces de prêts sur gage, d’électroménagers usagers ou de friperies.

Et si au hasard d’un projet, le règlement municipal n’est pas assez permissif (hauteur, densité, etc.), pas de problème, on obtiendra les dérogations nécessaires qui passeront à peu près inaperçues dans les ordres du jour des conseils d’arrondissement. Et si par inadvertance un comité de citoyens soulève un enjeu qui risque de se retrouver sur la place publique (ça arrive quelquefois) le promoteur aura toute la marge de manœuvre pour offrir une compensation (quelques logements sociaux, l’agrandissement d’un espace vert, etc.), afin d’acheter la paix. Une telle description c’est pour les plus visibles.

Quand on n’a pas les moyens

Mais, n’ayant pas les moyens ni les contacts des plus gros, certains petits et moyens promoteurs immobiliers écument les quartiers populaires en quête de proies. Ils sont particulièrement agressifs et élaborent des stratégies de harcèlement de petits propriétaires pour littéralement les forcer à vendre ou de locataires pour les faire déguerpir de leur logement pour ensuite démolir ou rénover afin de satisfaire une clientèle riche prête à acheter au gros prix. Les associations de locataires pourraient vous en raconter longuement là-dessus.

Dans le Sud-Ouest et dans la Pointe-Saint-Charles, nous sommes aux premières loges pour assister depuis plus de 20 ans au remodelage de la trame urbaine, essentiellement en fonction de la machine à profit. Une dérive qui s’est véritablement accélérée sous le règne du maire Bourque (1994-2001) pour se poursuivre sous Gérald Tremblay et Denis Coderre et qui a donné Griffintown, un quartier, avec + de 6 000 habitations, dignes du siècle précédent : sans école ou services de santé publics et toujours avec l’autosolo dominant (bien cachée dans des stationnements souterrains). Justement, ce mois-ci des résidents du Faubourg Contrecoeur dans l’Est de Montréal se plaignent de l’absence de services de proximité dans ce projet de près de 2 000 logements. Par « hasard », un des plus gros constructeurs est une société sous la juridiction de la Ville, la Société d’habitation de Montréal. Comme quoi, la planification urbaine, c’est-à-dire être en mesure de prévoir des milieux de vie conviviaux, est une notion étrangère aux développeurs. Et ils ont l’audace de nous parler de développement durable, la novlangue disions-nous.

Les acteurs

L’enjeu principal au basin Peel est les terrains appartenant à la Société immobilière du Canada (SIC) (Voir la photo plus haut). Celle-ci les vendra sans doute au plus offrant, c’est son mandat : en tirer le plus d’argent possible. Supposons que les éluEs de la Ville se plaçaient dans une vision social-démocrate normale, Montréal se porterait acquéreur des terrains de la SIC, ne serait-ce que pour éviter la spéculation et planifier en amont le développement du secteur. Mais c’est trop pour notre mairesse Valérie Plante qui n’ose sans doute pas déplaire au milieu des affaires. Alors on se retrouve avec une situation de négociations, des pressions entre le secteur privé et les institutions publiques, derrière des portes closes.

Bien sûr il y aura consultation publique. Mais pas avant que les projets du privé et ceux de la Caisse de dépôt et placement (le REM) auront été ficelés.

1. Stephen Bronfman de Claridge et Serge Goulet de Devimco, les 2 grands promoteurs immobiliers
2. La Société immobilière du Canada (SIC) qui comme toutes les sociétés d’État, son fonctionnement est privé une sorte d’État dans l’État, un peu à l’image par exemple de la SAQ ou d’Hydro-Québec.
3. Le gouvernement du Québec. Celui-ci est prié par Stephen Bronfman de convaincre Ottawa de leur céder les terrains. Comme le rappelle l’Aut’journal, Stephen, un ami intime de Justin Trudeau, est un des principaux ramasseurs d’argent pour le parti libéral du Canada.
4. La Caisse de dépôt de de placement du Québec, avec son REM (réseau express métropolitain) et qui avec l’appui d’une loi passer par Couillard lui permet de s’affairer et de se positionner en fonction d’une rentabilité de 8% par année en développant l’immobilier autour de ses stations. D’ailleurs, attendons-nous à une intégration complète de la Société de transport de Montréal (STM) et des autres sociétés de transport dans la LOGIQUE DE RENTABILITÉ de la Caisse de dépôt, un futur scandale public. C’est dans cette logique que la STM pourra établir un tarif social pour les faibles revenus.
5. La ville de Montréal.

On peut remarquer que sur les 5 principaux acteurs les 4 derniers sont « censés protéger » l’intérêt public. Concept flou s’il en est un, devenu d’ailleurs une véritable légende urbaine, tellement la majorité de la population montréalaise, locataire à 63%, est vulnérable face aux profiteurs de l’immobilier.

C’est pour vous dire que le mouvement communautaire de Pointe-Saint-Charles, qui entend revendiquer sa part de logements sociaux et pour éviter quelques autres impacts négatifs (circulation de transit et congestion locale, sécurité piétonne et cycliste, accès public des berges, etc.), aura donc à ramer fort pour inverser la tendance. Dans le meilleur des cas (c’est ici notre espoir), on aura droit à quelques concessions sociales servant à fignoler une image médiatique d’intégration de toutes les composantes de la société.

Toute une côte à remonter

Depuis longtemps les milieux sociaux, surtout ceux impliqués dans les enjeux logements, dénoncent l’embourgeoisement des quartiers et des conséquences souvent dramatiques sur les ménages à faible et moyen revenu. Spéculation et augmentation des valeurs foncières et des loyers, reprise de possession et autres méthodes d’expulsion des locataires, bref une situation où les promoteurs immobiliers font la pluie et le beau temps souvent sous l’œil presque indifférent des éluEs.

Dans Pointe-Saint-Charles, la Table Action-Gardien (AG) a décidé de se faire entendre. La stratégie et l’objectif sont simples. Les terrains publics de la SIC au bassin Peel (60% des superficies) doivent demeurer publics et la Ville doit s’assurer que les besoins de la population soient pris en compte, notamment celui du logement social et communautaire. Action-Gardien demande que les projets de développement du bassin Peel soient soumis, en amont, à des consultations publiques.

Mais la ligne du naufrage n’est pas loin. Valérie Plante penche « dangereusement » dans le sens du consensus médiatique, sans que la gauche montréalaise, pour l’instant complètement absente des enjeux (centrales syndicales, QS, etc.) ne s’en émeuve pas outre mesure. Valérie a beau jeu.

DÉSOLANT préjugé favorable de l’hôtel de ville

Le journal Métro du 19 février 2019 titre : « Valérie Plante voit d’un très bon œil le choix du basin Peel pour un stade de baseball ». Toujours selon le journal « Dans les discussions avec monsieur Bronfman, on savait que c’était un des lieux envisagés, alors non, ce n’est pas une surprise a affirmé Valérie Plante, c’est une bonne nouvelle ».

Évidemment M. Bronfman a jugé prudent de s’inscrire comme lobbyiste à Québec, cette sorte de « privilège » des biens nantis pour faire valoir leurs arguments et surtout leurs intérêts derrière des portes closes. Par les temps qui courent on peut penser que le préjugé favorable va pour le stade de baseball comme joujou d’un modèle de développement spectaculairement axé sur la consommation.

En ce qui concerne les besoins fondamentaux tels, le logement, la Mairesse n’a rien avancé. Elle s’attend sans doute à des revendications venant de Pointe-Saint-Charles qui actuellement organise une riposte potentielle. Manifestation le 15 avril, nombreuses visites du bassin Peel pour sensibiliser les résidentEs de Pointe-Saint-Charles, discussions pour préciser les revendications, et interventions à une future consultation publique.

Mais encore une fois, ce qu’il nous faut constater, c’est le parti pris affirmé des institutions politiques publiques (Ville de Montréal, Arrondissement du Sud-Ouest, Caisse de dépôt et placement du Québec, Société immobilière du Canada, gouvernement du Québec) qui sont toutes sur la même longueur d’onde, vise la RENTABILITÉ CAPITALISTE D’ABORD. Pour le reste on verra !

Malgré quelques pressions et revendications éparses, il y a tout lieu de convenir qu’à l’heure actuelle, aucun véritable mouvement de réappropriation collective de nos milieux de vie n’est en mesure de contrer l’hégémonie presque totale du capitalisme immobilier.

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