Déclaration de la Pointe libertaire

Le Collectif La Pointe libertaire est un groupe d’affinité du quartier Pointe Saint-Charles à Montréal qui rassemble des personnes qui agissent dans le champ politique en fonction de créer une dynamique vers l’autogestion du quartier par ses citoyennes et ses citoyens.

Le refus de la domination, c’est lutter pour une société libre

Dans l’ensemble des courants de gauche chez nous et à travers le monde la majeure partie des mouvements rejettent le néo-libéralisme comme étant cette partie du capitalisme qui va trop loin parce qu’il s’attaque de plein front aux États providences et aux acquis sociaux durement gagnés depuis 50 ans. Cette résistance et ce combat visent essentiellement à protéger ces acquis sans remettre en question les causes qui justement ont permis l’apparition et l’enracinement, dans la société, les têtes et les consciences, de ce néo-libéralisme. Pour employer un terme savant, ce néo-libéralisme à l’échelle mondiale tend à dissoudre la société pour la transformer, y compris les humainEs, en un vaste comptoir de marchandises.

Malgré le fait que nous sommes impliquéEs dans divers mouvements sociaux, nous croyons que cette option réformiste (une sorte de capitalisme à  » visage humain  » qui refuse de remettre en question les structures et objectifs du système) dans le contexte du XXI ième siècle et de l’évolution du système capitaliste, ne peut plus constituer, si elle l’a déjà été, une barrière contre la déshumanisation accélérée de notre société et l’épuisement des ressources de la Terre. Nous pensons qu’il faut orienter nos préoccupations et nos énergies disponibles vers des alternatives politiques, sociales, économiques et culturelles qui brisent avec la logique de toutes les formes de domination.

Une option libertaire, féministe et écologique pour une société libre

Pour nous, dire non à toutes les formes de domination c’est refuser tous les systèmes (économique, politique, social et culturel) organisés sur l’exploitation humaine et de la nature. Nous comprenons que les phénomènes de domination qui ont jalonné et marqué l’histoire humaine vont bien au-delà du seul système capitaliste d’aujourd’hui. Certaines approches féministes nous permettent d’entamer une réflexion vers la déconstruction des phénomènes de domination non seulement contre les structures de domination liées au système capitaliste mais également contre diverses autres formes de domination sociales (ex : la race, le genre ) ou structurelles qui imprègnent les rapports sociaux dans notre vie quotidienne, nos organisations et nos institutions. C’est dans cet esprit, qu’une perspective féministe du refus de la domination pourra nous permettre de façonner les alternatives d’une société plus égalitaire et débarrassée des comportements et des structures de domination.

Libertaire et radical

Comme nous le disions plus haut, notre refus de l’ensemble des processus et des structures de domination, y compris celles générées à travers le système capitaliste, nous amène à opter pour une vision libertaire comme base d’organisation et de fonctionnement de la société. Cette option nous invite à rejeter et à combattre toutes les formes de domination, de hiérarchie et d’exploitation des humainEs…et de la nature, qui empêchent une véritable prise en charge individuelle et collective des citoyennes et des citoyens de leurs conditions de vie. Cette option peut être qualifiée de radicale parce qu’elle compte s’attaquer à la racine des problèmes.

Bâtir nos propres instruments selon nos valeurs

C’est dans ce sens aussi que nous rejetons les structures hiérarchiques et centralisées de l’État et de ses Institutions (Éducation, Santé, Justice, etc.). Dans cette même foulée, nous remettons en question cette aspiration des partis politiques de gauche (le plus souvent littéralement calqués sur les structures étatiques) d’accéder au pouvoir et de gérer l’État au nom des citoyens et des citoyennes, en croyant possible de démocratiser, par la représentation politique, un système basé sur la domination et le pouvoir d’une minorité. Pour nous, la politique ce n’est pas l’art de gérer l’État et nous proposons de lui donner le sens d’un phénomène qui représente l’activité d’un corps public (un quartier par exemple) composé de citoyens et de citoyennes qui pensent, débattent et décident démocratiquement de leur présent et de leur avenir. Nous proposons donc la mise en place d’institutions citoyennes organisées et gérées par les citoyens et les citoyennes elles-mêmes comme base d’auto-organisation de la société. Si depuis plus de 35 ans des citoyens, des citoyennes et des travailleuses et des travailleurs ont pu gérer la Clinique communautaire de santé du quartier, il n’y a pas à douter que nous puissions le faire dans tous les autres domaines de la vie, y compris dans le champ politique.

C’est pour marquer nos préoccupations fondamentales vers la justice humaine que nous voulons insister sur une vision féministe et écologique de l’approche libertaire. La domination et la violence  » organisées  » envers les femmes et envers la nature en disent long sur l’importance des enjeux de l’émancipation humaine. Le féminisme et l’écologie constituent des éléments clés au cœur du combat et des mobilisations citoyennes pour stopper la destruction de la terre par la machine capitaliste. Le collectif se donne un rôle d’éducation et opte principalement pour l’action locale.

Notre intervention dans le champ politique vise un but général d’éducation politique. Dans cette perspective, nous n’avons nullement l’intention de devenir ou de créer un parti politique et par conséquent nous ne cherchons pas à prendre le pouvoir bien que nous nous impliquions au niveau local sur la scène politique municipale.

Notre option libertaire implique la décentralisation du fonctionnement de la société. Afin de faciliter la mise en place d’institutions citoyennes locales il est nécessaire de commencer à mettre en pratique nos idées dans nos milieux respectifs. C’est pourquoi nous proposons de soutenir des formes d’organisations qui privilégient les réseaux de groupes autonomes et décentralisés, les groupes d’affinité et la mise en œuvre de diverses alternatives libertaires et autogérées à petite échelle. Ces diverses formes d’organisation jouent un rôle d’éducation en aidant le plus grand nombre de personnes possibles à s’impliquer directement dans la construction des alternatives qui présagent la société que nous voulons.

Ce choix du local ne diminue en rien notre intérêt pour les enjeux globaux à l’échelle nationale ou internationale. Au contraire, de notre place de citoyennes et de citoyens du quartier Pointe Saint-Charles, nous voulons participer à la redéfinition des rapports entre le local, le national et l’international. Il ne s’agit donc pas d’opposer le local au global, mais de créer les conditions qui permettent aux citoyens et aux citoyennes, en s’appropriant la gestion du local, de pouvoir ensuite auto-gérer la cité, la région, le pays et le monde. En clair, sans autogestion pleine et entière à la base au niveau du quotidien, une gestion libertaire de la convergence des enjeux du global sera toujours vouée à l’échec.

Anna Kruzynski et Marcel Sévigny
Texte adopté par le collectif
Octobre 2004

Révisée en aout 2010 par le Collectif