Depuis maintenant plus de 2 ans le Carrefour d’éducation populaire de Pointe-Saint-Charles lutte pour sa survie. Institution communautaire historique fondée en 1969 dans le quartier Pointe-Saint-Charles et toujours contrôlée par les gens du quartier, le Carrefour fait face à la disparition pure et simple. »]
Cette trajectoire semble inéluctable depuis que la Commission scolaire de Montréal (CSDM) se désengage graduellement du soutien aux 6 Centres d’éducation populaire disséminés dans la ville.
Les Centres protestent évidemment contre cette situation, mais un seul, le Carrefour, a entrepris d’en faire une véritable lutte.
Ainsi, la CSDM, aux prises avec des déficits budgétaires récurrents, entre autres provoqués par des coupures budgétaires du gouvernement du Québec, mettra fin à une subvention du loyer annuel de l’ordre de 85 000$ tout en souhaitant se débarrasser d’un bâtiment devenu encombrant. D’autant plus que la CSDM estime les rénovations de la bâtisse de 3 étages à près d’un million de dollars.
Face à cette impasse, les membres, le personnel et ses sympathisant-e-s mettent de la pression sur le gouvernement du Québec afin que celui-ci finance directement le manque à gagner, laissant par le fait même les commissaires de la CSDM tergiverser sur l’avenir des Centres. On est justement en campagne électorale scolaire et selon un compte rendu de la soirée du 21 octobre avec les candidates des 3 partis seule Jocelyne Cyr de Priorité Écoles s’est engagée à renouveler le bail du Carrefour si le gouvernement ne débloquait pas les fonds. Quant à la commissaire sortante, Violaine Cousineau, elle n’a pas voulu aller au-delà d’un appui formel au maintien de Carrefour.
Presque réussi …
Les manifestations, pétitions, actions d’éclats ont presque réussit à résoudre le problème. En effet, dans la foulée de la défaite électorale du gouvernement libéral de Charest à l’automne 2012, le parti québécois de retour au pouvoir à Québec s’est montré « plus ouvert » (on imagine que Diane de Courcy ancienne présidente de la CSDM et nouvelle ministre avait fait passer le message). Ainsi, le PQ avait indiqué qu’il allait « prendre en charge » le soutien aux 6 Centres montréalais sans toutefois préciser quelles en seraient les modalités. L’espoir semblait être revenu et la lutte de pression marqua le pas pour un moment si bien que les 5 autres Centres n’étaient plus intéressés à continuer les moyens de pression. Mauvaise analyse découlant sans doute d’une attitude politique qui veut que l’«État providence », dont le PQ se gargarise encore d’en être l’incarnation, finis toujours par protéger les démunis de la société. On retrouve largement cette position dans l’ensemble des mouvements sociaux (communautaires, syndicaux, féministes, etc.) au Québec. Ainsi, la large partie des organisations croient encore qu’il suffit de manifester avec conviction pour faire entendre raison aux 3 partis néo-libéraux qui dominent l’Assemblée nationale à Québec, les libéraux, les péquistes et les caquistes. Pourtant la récente grève étudiante de 2012 nous a démontré que ce type de rapport de force est devenu totalement insuffisant pour faire reculer l’État.
Ainsi, ce qui devait arriver arriva. Sur la période de 18 mois où le PQ détenait les commandes de l’État il n’a pas trouvé le temps de régler le dossier, laissant le réseau des Centres sur le qui-vive et avec le seul espoir que le PQ remporte les élections anticipées d’avril 2014. En supposant qu’une victoire du PQ aurait réglé la survie temporaire du Carrefour, ce qui n’était pas acquis, rien ne nous indique que l’autonomie dont jouissent actuellement les Centres d’éducations populaires aurait été protégée.
Mais ce n’est pas ce qui s’est passé puisque le parti libéral est revenu aux affaires de l’État pour s’occuper des « vraies affaires », selon le nouveau premier ministre Couillard.
Ce dernier n’a pas caché ses intentions. Il entend retrouver l’équilibre budgétaire en coupant 3.5 milliards$ de fonds publics. Couillard entend modifier durablement la nature de l’État vers un État essentiellement au service de la concurrence économique. Déjà les projets de loi s’accumulent, centralisation accrue dans le système de santé, coupe dans les plans de retraites des employé-e-s municipaux jugés trop généreux, négociations du renouvellement des conventions collectives des employé-e-s de l’État, etc.). C’est donc dans un contexte d’austérité majeure que la décision de maintenir ou non les centres d’éducation populaire que la situation du Carrefour sera connue.
Dernièrement, suite à une motion de la députée Manon Massé de Québec solidaire, le gouvernement du Québec aurait répondu positivement pour assurer le financement des Centres. Selon l’attachée de presse du ministre Blais «malgré la situation financière difficile et les choix qui ont dû être faits, le gouvernement a protégé l’argent qui était destiné aux centres». On peut se demander pourquoi le ministre laisse tout le monde sur le qui-vive si le problème est résolu.
L’impasse
À 6 mois de l’échéance, la survie du Carrefour et des autres Centres ne tient qu’à un fil. Ce que le Carrefour a sur la table est un engagement d’une candidate à l’élection scolaire pour le renouvellement du bail si le gouvernement n’agit pas et la déclaration d’une attachée de presse. Mince, très mince.
Même si le Carrefour a multiplié ses appuis, dont celui de l’arrondissement Sud-Ouest qui a autorisé le déploiement d’une immense banderole en travers la rue Charlevoix, la solution financière n’est plus à portée de mains.
Préparer le changement de paradigme dans la résistance
Durant la dernière année, des propositions de radicalisation de la lutte du Carrefour ont été avancées, mais elles n’ont pas été retenues par les assemblées. Normal dans le contexte où la majorité des gens voulant sauver le Carrefour croient toujours qu’il est possible de s’en sortir avec les moyens de pression traditionnels. Mais ça ne veut pas dire qu’ils ou elles sont fermées à l’utilisation de moyens de résistance plus drastiques. Lorsque l’inéluctable moment où la clé sera mise sur la porte, il est plus que probable que de nombreuses personnes ne l’accepteront pas. Les gens vont vouloir « à tout prix » sauver le Carrefour, c’est-à-dire pour plusieurs une partie de leur vie et voudront se joindre à des actions plus radicales, telles l’occupation permanente du bâtiment et son autogestion directe.
Ici, le rôle de militantes et de militants antiautoritaires ou libertaires du quartier peut devenir important en ouvrant un potentiel de radicalisation de la résistance.
C’est loin d’être une situation idéale, mais le projet d’une occupation doit être envisagé dès maintenant. Cette idée doit commencer à circuler dans les têtes et dans le quartier afin de créer le lien d’un nouveau paradigme de la résistance qui est explicitement le passage d’une situation politique où les gens ne font plus confiance aux autorités politiques et basculent dans l’idée au cœur même de l’éducation populaire c’est-à-dire d’une prise en charge collective de la résistance par nos propres moyens.
Voilà le sens de cet article et c’est pourquoi nous lançons dès maintenant cette idée d’une occupation du bâtiment pour sauver le Carrefour d’éducation populaire de Pointe-Saint-Charles. Nous souhaitons que cette idée fasse son chemin et regroupe petit à petit des militant-e-s du quartier et pourquoi pas de l’extérieur pour élargie la solidarité, prêts, et prêtes le moment venu c’est-à-dire lorsque les options actuelles auront été épuisées, à organiser l’occupation initiale du Carrefour. C’est aussi en quelque sorte une demande à l’avance d’une « permission solidaire » à tous ceux et celles qui luttent présentement pour la survie du Carrefour.