L’équipe de l’émission C’est pas trop tôt à Radio-Canada a compilé cette semaine dans un sondage maison une liste de lieux jugés dangereux pour les cyclistes par leur auditoire. Deux lieux du Sud-Ouest apparaissent sur leur carte interactive, le tunnel Atwater et le pont Wellington. D’ailleurs, un accident mortel impliquant un cycliste a eu lieu tout prêt du pont il y a à peine un an. État des lieux sur une vitale question d’aménagement urbain.
Le pont Wellington
Le 3 avril 2013 vers 16h00, Christian Brulotte, un homme dans la trentaine, se faufile entre les véhicules immobilisés au feu rouge qui borde le pont Wellington. Il fait une chute et se coince sous un camion-remorque, qui l’écrase lorsque le feu tourne au vert. Pourquoi avoir roulé entre les deux rangées de véhicules motorisés? C’est que la voie qui borde le trottoir est trop mince pour laisser place à une automobile et un vélo à la fois; pour passer le pont à l’heure de pointe, il faut soit rouler sur le trottoir (ce qui est interdit par le Code de la route) ou bien rouler entre les autos et les camions. Ça ne me surprend donc vraiment pas que l’endroit soit ressenti comme dangereux; moi aussi, j’ai peur pour mes fesses chaque fois que je suis forcé d’y passer…!
Benoît Dorais a annoncé des mesures suite à l’accident, tout en précisant que l’endroit n’était « pas répertorié comme étant problématique ». La carte interactive de Radio-Canada ne représente pas une étude scientifique, c’est vrai, mais elle révèle quand même qu’un nombre important de cyclistes craignent l’endroit. La peur n’est pas un indicateur statistique ou technique, mais sa fonction étant de nous garder en vie, elle est un indicateur de choix pour notre jugement personnel, qui est au bout du compte le premier garant de notre sécurité individuelle. Elle indique qu’il se passe quelque chose, en plus d’être un problème en soi; personne ne veut vivre dans la peur.
Un choix de société
Cet hiver, une étude du Bureau du coroner du Québec a jugé que le Code de la sécurité routière du Québec était souvent irréaliste, impossible à respecter pour les cyclistes, appelant à une mise à jour urgente. Ses auteur.e.s vont même jusqu’à attribuer en partie la légendaire témérité des cyclistes de Montréal à des règles inadéquates. La semaine dernière, à la suite d’un nouveau décès, le nouveau ministre des Transports, Robert Poëti, a annoncé que le Code sera révisé afin de mieux garantir la sécurité des cyclistes.
Réviser le Code de la route est en soi une bonne chose, mais elle sera insuffisante; c’est une première étape qui ne doit pas en rester là. Des endroits comme le pont Wellington demeureront dangereux même si on change les règles, puisqu’ils ont été conçus sans prendre en compte cette réalité que représente la présence de vélos sur la route, toujours largement perçue comme la chasse gardée de l’automobile. Ces infrastructures doivent tout simplement être refaites afin de les rendre sécuritaires. Les travaux annoncés par Benoît Dorais à cet effet pour le pont Wellington devraient débuter cette année. Combien d’autres endroits demeureront dangereux, cependant, jusqu’au prochain décès? La carte interactive de Radio-Canada en donne une certaine idée.
Ainsi, la deuxième étape permettant d’assurer la sécurité des cyclistes sur la route est loin d’être achevée, ni même sérieusement entamée. Que dire alors de la troisième et dernière, peut-être la plus importante: revoir la place de l’automobile dans notre société? Il n’y a que des avantages individuels et collectifs à prendre le vélo. La voiture comporte certainement des avantages individuels, surtout l’hiver, mais elle n’offre que des inconvénients au plan collectif, des inconvénients parfois très graves. Pour n’en nommer qu’un seul, la pollution de l’air, en grande partie attribuable au transport motorisé, tue 1500 personnes chaque année à Montréal seulement. Plus de gens en meurent dans le monde que du tabac. Pourtant, c’est encore pour l’automobile qu’on conçoit et réfléchit la route.
C’est triste qu’il faille attendre la mort d’une personne pour commencer à réagir; ce l’est encore plus quand une mort n’est pas suffisante pour régler un problème. S’il est certain que nous porterons encore le deuil à plusieurs reprises avant qu’on ne règle celui-ci, on peut peut-être accélérer le processus en mettant plus de pressions sur les autorités en place, et ainsi sauver des vies…
Par Pascal Lebrun
Pour l’Agence de presse libre de Pointe-Saint-Charles