Yvon Lamarre : douteuse apologie du personnage

Lorsqu’une personnalité connue décède, on assiste à l’apologie du personnage oubliant volontairement ses travers, même les plus graves. Faire l’apologie d’Yvon Lamarre de son vivant, figure connue du Sud-Ouest, réjouira sans doute ses admirateurs, mais laissera un goût amer à d’autres.

Ce qui nous intéresse ici n’est pas son bénévolat ni ses années de services dans de belles entreprises capitalistes. Ça, on s’en fout un peu et même pour plusieurs, complètement. Ce qui nous interpelle par le communiqué des élu-e-s du 3 novembre dernier, ce sont les 20 années de ce politicien conservateur et néo-libéral qui a sévi sur la place publique.

On voit ici Yvon Lamarre

« Les élus et les membres de la direction ont ainsi voulu saluer son implication sociale et ses nombreuses réalisations accomplies au cours de sa carrière en politique municipale ». Que des élu-e-s dit progressistes et des fonctionnaires (ces derniers censés observer une attitude de neutralité) rendent hommage aux réalisations politiques d’Yvon Lamarre laisse perplexe.

Un peu d’histoire

Une grande partie de la carrière politique d’Yvon Lamarre se situe en pleine période de la Révolution tranquille où l’émancipation sociale, politique et économique est à l’ordre du jour. Toutefois, Yvon Lamarre appartient à ces secteurs politiques conservateurs qui se faufileront et qui échapperont à cette vindicte pour quelque temps encore.

Ainsi, l’énumération dans le communiqué des « bons coups » d’Yvon Lamarre relève, dans les circonstances, de la « novlangue », et même d’une certaine réécriture de l’histoire par ses oublis volontaires.

Un passé pas aussi glorieux que nos élu-e-s le dise

Reprenons quelques éléments du communiqué

« En 1966, il se lançait en politique municipale au sein du Parti civique, alors dirigé par Jean Drapeau. »

En fait, le parti civique était un club politique où seuls les candidats aux élections étaient membres. Un ramassis de petits commerçants plus ou moins réactionnaires que Jean Drapeau choisissait un à un. Car sous le règne Drapeau (26 ans) il y avait 1 boss et demi à Montréal, le maire suivi du président du comité exécutif. Tous les autres élus municipaux membres du comité exécutif ou non devaient se fermer la trappe sinon ils passaient à la trappe. Rappelons que c’est avec la victoire du RCM en novembre 1986 qu’un premier citoyen a pu poser une question au conseil municipal.

« Au cours des années 1960, cet homme natif du quartier Émard (Ville-Émard) s’est impliqué dans le secteur de l’habitation afin d’améliorer les conditions de vie des citoyens. Ce dossier, qui lui tenait particulièrement à cœur, a mené à la création de la Société d’habitation du Québec et de l’Office municipale d’habitation de Montréal. Une belle réussite! »

De 1960 à 1975, main dans la main avec les promoteurs et les propriétaires, 35 000 logements familiaux ont été démolis essentiellement dans les quartiers populaires, y compris dans la Petite-Bourgogne (rénovation bulldozer) St-Henri et Pointe-Saint-Charles, où des milliers de logements sont disparus sous le pic des démolisseurs, une véritable hécatombe. Si la Société d’habitation du Québec et l’OMHM ont été mis sur pied par l’Union nationale c’était d’abord pour faire face à la crise du logement en grande partie provoqué par le parti civique. D’ailleurs, c’est dans ces années qu’on assiste à la naissance du mouvement populaire pour défendre le droit au logement bafoué par les autorités municipales de l’époque.

« Yvon Lamarre a effectué un tour de force avec l’Opération 20 000 logements en huit ans, dont 5 % sont consacrés aux personnes ayant des limitations physiques. « Grâce à ce programme, il a transformé le cadre bâti des quartiers de la Petite-Bourgogne et de Saint-Henri », a ajouté le maire. »

L’opération 20,000 logements a été créé que pour tenter de réparer les dégâts antérieurs (entre 1960 et 1975 Montréal a perdu 271 000 habitants au profit des banlieues) d’un urbanisme chaotique (autoroute Ville-Marie, échangeur Turcot, etc.). Cette opération visait en tout premier lieu le maintien de la « classe moyenne » qui désertait Montréal. Après avoir permis le saccage du patrimoine populaire montréalais, on assistait au début de ce qu’on nomme aujourd’hui l’embourgeoisement, un phénomène bien connu dans le Sud-Ouest et qui continue à faire des ravages majeurs dans la population.

Pendant que le tandem Lamarre/Drapeau mettait la majeure partie des ressources municipales en habitation pour soutenir essentiellement les classes moyennes, les organisations populaires luttaient pour assurer un toit décent à des milliers de ménages, contre les démolitions pour le logement social et provoqué l’émergence du mouvement des coopératives d’habitation. De son côté, l’administration Drapeau/Lamarre a tout fait pour développer des « coopératives, genre condo-coop» pour classes moyennes au détriment des classes populaires de l’époque, en essayant d’utiliser les programmes publics de coopératives venant du Fédéral, ce qui a mené à quelques batailles épiques. Si le Sud-Ouest compte aujourd’hui le meilleur ratio de logements sociaux dans le tout le Canada ce n’est sûrement pas à cause des efforts de M. Lamarre, mais des défenseurs du droit au logement.

• « M. Lamarre a grandement contribué au développement économique et social de Montréal et de notre arrondissement ».

Un exemple parmi d’autres sur le développement social : Au début des années 1980, fatigué des pressions des groupes d’assistés sociaux et de retraités, le tandem Drapeau/Lamarre donne le pouvoir aux propriétaires de percevoir la taxe d’eau directement auprès des assistés sociaux et des personnes âgées pauvres qui ne peuvent pas payer. S’ensuit la montée du harcèlement, des évictions et de pressions en tout genre. Ça, c’est du développement social.

Et un p’tit dernier : Yvon Lamarre était membre du conseil d’administration de la Société du Havre, lorsque cette société paramunicipale dirigée par Lucien Bouchard, endossait totalement le déménagement du Casino à Pointe-Saint-Charles et faisait des pressions à Québec pour contrer l’immobilisme citoyen. Yvon a donc donné son aval à cet « éminent » projet de développement social.

• Enfin, on présente M. Lamarre comme un administrateur hors pair.

Alors, d’où pensez-vous vient l’immense retard dans le rattrapage de la réfection des infrastructures souterraines de Montréal? Eh oui, nous payons encore pour le laisser-aller inouï de l’administration Drapeau/Lamarre qui a littéralement abandonné l’état des infrastructures durant plus de 25 ans.

C’est aussi à l’époque du tandem Drapeau/Lamarre où la Ville a pris congé de cotisation des fonds de pension des employés, que les gouvernements municipaux suivants ont dû absorber au détriment de la qualité des services municipaux.

Une petite gêne peut-être?

Qu’un conseil d’élu-e-s de tendance libérale fasse l’apologie d’Yvon Lamarre, c’est dans l’air du temps. Mais il semble que nos élu-e-s en ratissent large.

Tant qu’à faire, le Conseil pourrait peut-être rendre hommage à Vincent Chiara, éminent avocat d’affaires (1er prix au Québec en 2013) et riche promoteur immobilier, grand amateur d’art, qui s’implique concrètement dans l’arrondissement Sud-Ouest et qui a si gentiment offert un bâtiment gratuit à la communauté de Pointe-Saint-Charles en plus de verser 1 million$.

Où se trace la ligne d’une petite gêne?

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