Autonomie et lutte à l’embourgeoisement au Bâtiment 7

La récupération du Bâtiment 7 après 8 ans de lutte (2009 – 2017) est une victoire significative pour le militantisme local à Pointe-Saint-Charles. La fierté et la satisfaction étaient palpables au sein du Collectif 7 à nous, des membres du B7 et des sympathisantEs lors de l’inauguration « officielle » le 5 mai dernier. Cela dit, cette date du 5 mai ne signifiait pas la fin d’une histoire de lutte, mais plutôt l’affirmation que l’aventure du Bâtiment 7 était entrée dans une démarche d’appropriation vers l’apprentissage de l’AUTONOMIE collective.

Cette notion est sans aucun doute comprise différemment selon les « réalités radicales » des unEs et des autres. Apprendre l’autonomie collective dans la « vraie vie »

est plus difficile au total que d’avoir sauvé le B7 de la démolition. Cette quête d’autonomie présente une double dimension : la dimension contre et de la dimension affirmation. Nous y reviendrons plus loin.

Enfin, et nous trouvons important de le mentionner, l’année qui précède le 5 mai 2018 à partir du moment où le B7 devient propriété collective (avril 2017), les militantEs ont eu à passer au travers d’un incroyable amoncellement de défis petits et gros afin de rendre opérationnel la phase A, le quart de la superficie du Bâtiment7. Ce fut au prix d’une accumulation de stress, de fatigues physiques et morales pour quelques dizaines de militantEs. Incontournables dans le contexte et la conjoncture de notre société, ces indicateurs de la course contre la montre, souvent imposée par l’environnement économique (viabilité financière oblige) et institutionnel existant (bureaucratie oblige) a vidé l’écosystème militant du B7 de ses énergies pour un temps. Reprendre lentement son souffle durant le courant de l’été n’était pas une question de choix mais une obligation physique. Sujet pertinent lorsqu’on parle d’autonomie puisque cela suppose de réelles implications humaines pour passer de la revendication à la construction.

La signification de l’autonomie

Après avoir lancé, ce slogan/rêve, de Fabrique d’autonomie collective qui coiffe le site internet du B7, il faut désormais l’articuler à partir de la réalité quotidienne. Indiquant l’idée même d’un processus en marche, cette transformation en cours ne se fixe pas une fin prévisible. Parce qu’on ne peut jamais proclamer une parfaite maîtrise dans le rapport à soi, aux autres et au monde. Donc, cela signifie un processus de construction/transformation incessant de la forme d’organisation collective et de sa gestion interne, de la transformation même des individus (l’autonomie collective n’est possible qu’avec des individus autonomes affirmait Castoriadis) de l’écosystème ainsi que des rapports/liens du B7 à la communauté locale (la construction du politique). Bref, l’épanouissement du pouvoir de faire, individuel et collectif ou l’art de faire par nous-mêmes.

La marche vers l’autonomie collective est-elle en cours au B7 ? La réponse est oui. Mais à ce jour, rien n’est encore clair après plus d’un an d’auto-organisation. C’est laborieux, il faut en convenir, il y a des difficultés. Liées aux enjeux internes (inexpérience, apprentissage, etc.) et externes (la pression des normes en tout genre).

Il s’agit de créer, de défendre et de faire croître un « espace libéré » tout en refusant de se créer une bulle ou un îlot voulant se protéger du désastre ambiant (la société capitaliste). Il faut percevoir la logique et la pratique de l’autonomie collective comme démultipliables, sous des formes chaque fois spécifiques, en fonction des territoires et des expériences qui se mènent ailleurs. Et nous l’espérons en ayant à cœur de se lier et se coordonner à d’autres luttes vers l’autonomie collective. Dans ce sens, le projet d’autonomie du B7 s’affiche déjà comme partie agissante et ouverte au quartier avec une volonté, entre autres, de « garantir l’accessibilité du lieu à tous et toutes, avec un parti pris affirmé pour les personnes marginalisées et appauvries ». Positionnement qui n’évacue pas l’enjeu des classes sociales. En somme, le projet d’autonomie du B7 se positionne, à travers son mode d’organisation horizontale et décentralisée, sous-tendue par une dynamique d’émancipation, comme une approche politique radicale, suite logique de la lutte de récupération du Bâtiment 7. C’est pourquoi nous osons qualifier le projet d’autonomie collective du Bâtiment 7 comme une démarche politique contre l’État et sa logique.

Mais attention, une telle affirmation aussi claire n’a toutefois pas été revendiquée au cercle général du B7 (équivalent de l’assemblée générale). Mais rien de nous n’empêche pour le moment d’en émettre maintenant l’hypothèse plausible.

Entrer dans un nouveau paradigme politique

Cette quête d’autonomie collective dans un contexte ouvert sur la société maintient le Bâtiment 7 dans une trajectoire « naturelle » d’opposition à « l’ordre établi ». À l’évidence l’écosystème du B7 a choisi de contester la société carburant à la concurrence, à la lutte des uns contre les autres, aux hiérarchies dominantes et à une économie de marché au service des puissants. Bref, le B7 s’oppose généralement à l’ordre dégueu du capitalisme. Donc de prime abord anti-capitaliste.

Cette quête d’autonomie s’exprime donc par une double particularité. La première particularité de cette pratique de l’autonomie est une dimension-contre : résister, faire reculer les normes du système capitaliste qui nous entourent et nous étouffent – une résistance quotidienne entre autres face aux exigences et harcèlements bureaucratiques (normes et règlements en tout genre) qui est imposée au B7 (imposés également à l’ensemble des mouvements sociaux). Que ce soit à travers les programmes de subventions publics (par exemple, l’obligation de passer par une industrie de la construction soumise aux dictats de la rentabilité capitaliste), les règles urbanistiques ou bien le sacro-saint droit à la propriété privée.

La deuxième caractéristique de la pratique de l’autonomie est la dimension-affirmation. Elle est aussi résistance comme la première, mais cette fois-ci par la mise en œuvre d’une stratégie et de mécanismes créant de toute pièce, petit à petit, une vision, une « politique de l’autonomie ». Une telle construction en cours au Bâtiment 7, issu d’un imaginaire de rupture (refus des normes étatiques) se pose, à notre avis, nécessairement à l’encontre de l’État. C’est plus précisément cette dimension-affirmation de la résistance qui fait entrer, en théorie et en pratique, le Bâtiment 7 dans l’espace et l’imaginaire d’un nouveau paradigme politique.

En effet, en se positionnant contre la logique de l’État, la quête d’autonomie du Bâtiment 7 chercherait à augmenter la puissance du collectif (le pouvoir DE) alors que les formes politiques étatiques visent plutôt la dépossession de cette puissance potentielle du collectif (le pouvoir SUR). En plus d’avancer sur le terrain de l’anticapitalisme la démarche d’autonomie explore diverses avenues de sortie du capitalisme, ce que la vaste majorité des mouvements sociaux refusent d’envisager.

Ces deux combinaisons de la résistance sont menées en parallèle et sur certains enjeux elles sont imbriquées l’une à l’autre.

De la pratique de l’autonomie collective : l’enjeu de l’embourgeoisement.

Prenons l’exemple de l’embourgeoisement (gentrification) dans le quartier Pointe-Saint-Charles, soit dit en passant, un phénomène urbain qui s’étend dans de nombreux quartiers et que l’on observe à l’échelle internationale. Deux débats ont déjà eu lieu sur cette question au B7 et le sujet est loin d’être tranché à l’interne quant à un positionnement clair et cohérent. En toile de fond, nous pouvons largement démontrer que les institutions publiques et l’État (y compris la Ville) à travers ses politiques, ses programmes et ses règlements soutiennent directement ou indirectement l’industrie immobilière et, complémentairement depuis plus de 20 ans, le tourisme de masse (Airbnb, culture spectacle, etc.), où pullulent spéculateurs, faiseurs d’argent et autres aménageurs urbains patentés. Dans un tel contexte, l’émergence (sa réussite même dans un contexte de lutte sociale) d’un projet comme le Bâtiment 7 est perçue « soudainement » comme un atout pour les développeurs dans un secteur « d’avenir » du quartier. Objectivement, même sans le vouloir, le B7 devient un facteur d’embourgeoisement. Ses pratiques « alternatives » peuvent même être attrayantes (d’un point de vue marketing) pour une frange des nouveaux arrivants sensibles aux arguments qui présentent essentiellement des côtés positifs à ce phénomène d’embourgeoisement.

Alors, que veut dire mettre en pratique le positionnement théorique de la mission du B7 que nous avons cité plus tôt : « garantir l’accessibilité du lieu à tous et toutes, avec un parti pris affirmé pour les personnes marginalisées et appauvries », dans la construction d’une autonomie collective allant à l’encontre des valeurs défendues par l’État et l’industrie immobilière ? Deux options complémentaires s’imposent.

  • Développer une base d’adhésion autonome autour d’une solidarité sociale, culturelle économique et écologique.

 

Avec cet objectif de « garantir d’accessibilité », le B7 a, comme organisation, l’occasion de redéfinir ce que signifie la mixité sociale et le vivre ensemble. Et cette nouvelle définition doit indiquer quels seront les moyens mis en œuvre (travail mobilisation et de conscientisation à faire sur le terrain, y inclus auprès des nouveaux arrivants eux-mêmes ainsi qu’au sein de l’écosystème du B7) pour concrètement atteindre l’objectif. Au-delà du fait d’être en opposition face aux politiques favorisant la gentrification, le Bâtiment 7 aura à mettre en place un « ensemble de mesures cohérentes de solidarité sociale, culturelle, économique et écologique » autour d’objectifs communs dans le B7 et pouvant rayonner dans la communauté autour. Cette solidarité sociale doit impliquer toutes les couches sociales qui fréquentent ou sont susceptibles de fréquenter le B7.

  • Développer une analyse critique radicale de l’embourgeoisement

 

Même s’il se doit d’en être solidaire de la demande étatique de solidarité sociale (plus de logements sociaux) réclamée par la plupart des groupes tels le FRAPRU, la FÉCHIMM ou les syndicats, le B7 ne peut pas s’en tenir à cette seule mesure pour lutter contre l’embourgeoisement.

Dans sa perspective et sa pratique de l’autonomie, le B7 a à s’interroger plus largement sur les logiques légales et réglementaires soutenant le phénomène de l’embourgeoisement, contester le rôle prédominant du sacro-saint droit d’accès à la propriété privée et conséquemment de l’aménagement urbain et des phénomènes culturels qui l’accompagne (par exemple, la transformation de la trame commerciale des quartiers en voie d’embourgeoisement, la culture spectacle et élitiste, etc.). Le B7 pourra en profiter pour lancer le débat public sur ces enjeux dans le but d’élaborer une position conséquente.

Le défi est de taille, tant les contraintes qui entourent l’écosystème du B7 sont puissantes.

Le B7 aura à contrer le discours des médias de masse qui ont fait de l’embourgeoisement un enjeu moral ponctué d’événements spectaculaires tels, les incursions de petits groupes de militantEs dans certains commerces branchés pour y dévaliser de la nourriture ou barbouiller des vitrines. On s’interroge sur les effets de l’embourgeoisement et non sur les causes. On met en opposition le fait qu’un nombre important de locataires à faible revenu sont chassés par des reprises de possession ou l’augmentation vertigineuse des loyers et de l’autre on « insiste » sur le fait que les nouveaux commerçants font renaître la vitalité des quartiers et notamment le renouveau économique.

Le tapage actuel autour de l’embourgeoisement sert bien à cacher et à détourner les regards sur ceux et celles (les promoteurs et les politiciens) qui maintiennent et perpétuent cet état de fait.

Le B7 peut contribuer à remettre certaines pendules à l’heure.

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