« À nous la ville », un slogan de la même lignée que celui qui a inspiré pendant un certain temps une lutte contre l’embourgeoisement sous l’appel de « À qui la ville ?», adapté au quartier « À qui la Pointe ? » Derrière cette idée, c’est l’appropriation du territoire qui est en jeu. Ainsi, À nous la ville! dit clairement que les citoyens-nes doivent se réapproprier la gestion des communautés locales.
On le sait, à l’échelle du Québec le portrait démocratique est désolant. Les politiques et les discours des divers partis néo-libéraux (parti libéral, parti québécois, Coalition démocratique) dominent outrageusement la scène. Au niveau parlementaire, seul Québec solidaire (gauche social-démocrate largement minoritaire) maintient une présence que
plusieurs estiment presque symbolique dans le contexte d’austérité néo-libérale. Dans toutes les régions et dans les conseils municipaux, c’est le même constat. Une gauche politique absente bien que quelques élu-e-s de gauche parsemé ici et là est en poste.
Du côté des mouvements sociaux, en dépit des assauts dévastateurs contre la solidarité sociale étatique et les conditions de travail, ceux-ci ne parviennent pas sortir d’une logique de lutte essentiellement dirigée en faveur du « maintien des acquis sociaux ». Ce positionnement n’ouvre pas sur des perspectives mobilisantes et alternatives au plan politique.
Cela dit, il ne faut pas conclure que rien ne bouge à la base ou en périphérie des mouvements sociaux. Au contraire, des ilots militants radicalisés (sociaux-démocrates, marxistes ou libertaires), mais minoritaires s’agitent même s’ils ne parviennent pas jusqu’ici à faire sauter les verrous que tiennent les leaders bureaucratisés.
Une gauche municipale ?
C’est dans ce contexte général qu’une initiative en gestation est en cours sur le front politique municipal depuis quelques mois. En effet, quelques jeunes militant-e-s de gauche ont récemment lancé une initiative politique et produit un document d’une quinzaine de pages décrivant principe, stratégie et mode organisationnel pour un « mouvement citoyen » à l’échelle du Québec qui s’implanterait sur la scène politique municipale.
L’originalité de cette initiative est quelle semble sortir du moule traditionnel du parti politique puisqu’on parle d’un « mouvement citoyen » à l’échelle du Québec, mais décentralisé, ce qui permettrait une autonomie d’intervention dans le champ politique local, c’est-à-dire dans chacune des municipalités, villes ou villages du Québec. D’ailleurs, on parle ouvertement de réinventer l’action politique, la démocratie et « d’utopies concrètes qui représentent aujourd’hui le fer de lance de divers mouvements pour l’émancipation sociale et nationale qui tentent de dépasser le paradigme de l’État ». (C’est nous qui soulignons). On fait ainsi directement référence « au confédéralisme démocratique du mouvement kurde (expérience de démocratie directe au Rojava), au Rassemblement citoyen de la gauche et des écologistes de Grenoble (France), ou à la CUP (candidatures d’unité populaire), parti anticapitaliste, indépendantiste et municipaliste en Catalogne ».
Pourtant, malgré l’utilisation d’un langage de gauche et principes et paramètres qui rejoignent souvent des idées libertaires « …forme d’organisation souple et horizontale, inspirée du mouvement des Indignés et des assemblées populaires autonomes de quartier, », le mouvement « n’est ni explicitement de gauche, de droite, souverainiste ou fédéraliste ». Ce flou autour d’une identification politique « claire » est le reflet d’une désorientation idéologique profonde de la gauche québécoise, qui s’inscrit elle-même dans la grande débandade qui frappe depuis 25 ans l’ensemble des gauches occidentales.
Enfin, la tendance forte à considérer la présence citoyenne le plus rapidement possible aux élections dans des conseils municipaux semble omniprésente en tant qu’outil privilégié (stratégie d’action) pour faire changer les choses. Cela est le résultat, en bonne partie, d’une faiblesse d’analyse sur la nature des structures de pouvoir municipales actuellement en place. En gros, ces structures locales sont largement inféodées aux structures politiques dominantes largement manipulées par les forces politiques et économiques dominantes. Autrement dit, on ne pourra pas poursuivre les objectifs d’émancipation et de démocratisation avec une stratégie (qui n’est pas explicite dans les textes) « d’utilisation des structures du pouvoir traditionnel » pour opérer un changement de fond (faire de la politique autrement).
Cela veut-il dire de ne pas considérer l’idée de candidatures à des élections municipales? Aucunement. Mais, si le mouvement citoyen ne sert essentiellement qu’à une base de mobilisation pour prendre le pouvoir dans les conseils municipaux ont reproduira, avec des variations sans doute, le schéma de base de la structure actuelle de pouvoir.
Si on veut créer une vraie rupture parce qu’on arrive au constat qu’on est écœuré du système politique (démocratie représentative) alors le mouvement citoyen doit plutôt tendre vers un « mouvement politique autonome », une forme de contre-pouvoir ou de double-pouvoir actif sur le terrain dans les quartiers et les villages du Québec, capable de blocage, mais aussi de propositions, dont celle de gérer elle-même le fonctionnement des communautés locales en démocratie directe et participative.
Cette seconde option est sans doute la plus difficile, la plus laborieuse, mais la plus susceptible de créer un véritable virage.
Bien dit !
Cela me fait penser à ce qu’a dit un intellectuel français, Frédéric Lordon, sur la différence entre la droite et la gauche. La droite regroupe d’après lui toutes les personnes qui se vouent à agir à l’intérieur du cadre néolibéral (qui tient sur les bases de la concurrence généralisée de tous contre tous et de l’oppression du salariat), et sont de gauche les personnes qui veulent sortir du cadre, pour en créer un nouveau. Eh bien, je dirais que votre action vise explicitement à sortir du cadre et cela met du baume au cœur.
Cependant je ne crois pas tout à fait à l’idée utopique de démocratie radicalement horizontale. Là-dessus, je vous renvoie à une conférence du sus-nommé Frédéric Lordon qui explique les dangers de la révolution et ce avec quoi elle devrait composer : https://www.youtube.com/watch?v=4PEJlSvVZaY
À l’échelle d’un quartier, une réelle démocratie participative est réalisable. Le problème vient lorsque votre ambition dépasse le cadre strictement local du quartier et vise la municipalité, voire la région, ou encore la province. Et cette ambition est tout à fait légitime : on ne peut changer radicalement les modes de vie des gens tant que le système (le capitalisme néolibéral) est abattu en son cœur, donc à l’échelle globale. Par exemple, on ne peut éradiquer la propriété lucrative des moyens de production (le fait que ce soient des capitalistes qui possèdent les moyens de production et pas les travailleurs qui s’en servent), ou bien éradiquer le salariat, à l’échelle de Pointe-Saint-Charles. Cela nécessite une action globale.
J’aimerais alors savoir si vous avez cette ambition de « sortie du capitalisme », ou si votre but est strictement local ?
Pardon j’ai fait une erreur dans mon message prédédent :
On ne peut changer radicalement les modes de vie des gens tant que le système (le capitalisme néolibéral) n’est pas abattu en son cœur, donc à l’échelle globale.